L’arbitrage international : un mode privilégié de résolution des litiges en matière de travaux publics – par Simon NDIAYE, Avocat Associé, HMN & Partners

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Source : afa-arbitrage.com. Par Simon NDIAYE, Avocat Associé, HMN & Partners

Les grands projets infrastructurels de construction, au-delà de leur impact économique et politique, sont source de difficultés techniques et juridiques importantes notamment en raison de leur durée s’échelonnant souvent sur plusieurs années.

Ces difficultés, intrinsèques à tout projet de construction international, se trouvent accrues lors de grands projets infrastructurels lorsque l’ouvrage à réaliser relève du domaine des travaux publics.

Ceux-ci peuvent se définir comme des travaux immobiliers exécutés pour le compte d’une personne publique, dans un but d’intérêt général, quelles que soient les personnes qui définissent, dirigent ou réalisent les travaux. Le contentieux qui en découle est donc relatif aux difficultés qui peuvent « s’élever entre les entrepreneurs de travaux publics et Administration, concernant le sens ou l’exécution des clauses de leurs marchés ».

Dans un contexte international, l’arbitrage offre une alternative crédible au règlement judiciaire des litiges liés à la réalisation de tels projets. Les récentes opérations internationales de construction impliquant des acteurs publics (Coupe du monde au Brésil en 2014, Jeux Olympiques de Rio de Janeiro en 2016, expansion du Canal de Panama au Mexique) prévoient d’ailleurs un recours à l’arbitrage. La dernière conférence de la CCI en partenariat avec le FIDIC sur le thème « International Construction Contracts & Dispute Resolution » qui s’est tenue à Bogota les 24 et 25 mars 2015 témoigne de cet engouement pour l’arbitrage dans ce secteur.

Sur le plan contractuel, les parties ont souvent recours à des formulaires standard en matière de clause d’arbitrage ou des règlements d’arbitrage, adaptés au domaine de la construction et élaborés notamment par la FIDIC , le Fonds Européen de Développement (FED) ou encore par l’Institution of Civil Engineers.

Le succès de l’arbitrage dans le règlement des différends internationaux en matière de travaux publics s’explique par ses avantages intrinsèques.

L’arbitrage international offre en effet un gain de temps substantiel comparé à la justice étatique. Sous réserves que les parties et le centre d’arbitrage y soient vigilants, une sentence arbitrale peut être rendue dans un délai compris entre 1 et 2 ans à compter de sa saisine, alors qu’un contentieux initié devant les juridictions étatiques ne pourra être résolu qu’après plusieurs années, généralement 3 à 6 ans.

Le contentieux étatique nécessitera, le plus souvent, une mesure d’expertise judiciaire qui, une fois ordonnée, pourra faire l’objet d’extensions personnelles à d’autres parties et/ou matérielles à d’autres désordres, et dont la validité pourra être contestée par les parties ultérieurement. Une fois l’expertise judiciaire terminée, les parties devront alors initier une procédure au fond, sanctionnée par un jugement, qui, sauf cas exceptionnel, sera frappé d’appel puis, parfois, d’un pourvoi en cassation.

L’arbitrage international permet également une meilleure appréhension des aspects techniques, souvent complexes. Alors qu’un magistrat aura souvent tendance à se rapporter aux conclusions de l’expert judiciaire, il en va différemment en matière d’arbitrage où le débat technique a toute sa place et où des techniciens peuvent intervenir en qualité de coarbitres, d’experts désignés par le tribunal arbitral, ou de témoins/sachants venant au soutien d’une partie en tant que spécialistes des questions litigieuses .

Enfin, l’arbitrage international permet aux parties de bénéficier d’une confidentialité appréciable dans le règlement de leur différend, leur épargnant ainsi une publicité potentiellement nuisible.

En dépit des avantages indéniables de la justice arbitrale, certaines caractéristiques des litiges en matière de travaux publics peuvent être source de difficultés. De manière chronologique seront envisagées les difficultés liées à l’arbitrabilité du litige (I), à certaines caractéristiques de l’instance arbitrale en matière de travaux publics (II) et celles résultant de l’exécution de la sentence (III).

 

I. L’arbitrabilité des litiges internationaux en matière de travaux publics

La présence d’une personne publique constitue une difficulté quant à l’arbitrabilité du litige selon qu’il se situe dans un contexte interne ou international.

Le contrat administratif de droit interne est soumis au principe d’inarbitrabilité érigé par l’article 2060 du Code civil qui prévoit qu’« on ne peut compromettre sur les contestations intéressant les collectivités publiques et les établissements publics », même s’il existe certaines exceptions législatives.

En matière internationale, le contrat ayant pour objet la construction d’un ouvrage public reste de nature administrative et ce, même s’il met en jeu les intérêts du commerce international. Il en va ainsi du contrat conclu entre une personne publique et un partenaire étranger.

Un régime de l’arbitrabilité des contrats administratifs internationaux semble se dessiner depuis l’arrêt INSERM rendu par le Tribunal des Conflits le 17 mai 2010 où l’arbitrabilité des contrats administratifs internationaux semble avoir été admise, du moins de manière implicite.

Le Conseil d’État semble s’être récemment rallié à cette solution dans un arrêt SMAC du 19 avril 2013, dans le cadre d’un litige opposant le Syndicat Mixte des Aéroports de Charente, personne publique, et deux sociétés privées du groupe Ryanair. Ainsi, lorsque la sentence arbitrale touche au « noyau dur » du droit administratif (concession, marché public, partenariat et délégation de service public), les recours contre la sentence et l’exequatur de celle-ci relèvent de la compétence exclusive du juge administratif.

La difficulté tenant à l’arbitrabilité des litiges relatifs aux travaux publics en matière internationale semble aujourd’hui résolue même si des questions demeurent quant à l’étendue du contrôle du juge administratif sur les sentences rendues.

II. Certaines caractéristiques de l’instance arbitrale relative aux travaux
    publics

  1. La multiplicité des acteurs de l’opération de construction

L’opération internationale en matière de travaux publics fait intervenir une multiplicité d’acteurs.

L’enchevêtrement contractuel ne se résume plus à la seule relation bilatérale Maître de l’ouvrage/Entrepreneur, ou tripartite Maître de l’ouvrage/Maître d’œuvre/Entrepreneur :

– Le Maître de l’ouvrage peut recourir à un Maître de l’ouvrage délégué,

– La maîtrise d’œuvre peut être assurée par la personne publique seule ou être déléguée à un mandataire, personne publique ou privée. Cette fonction peut elle-même être scindée entre une maîtrise d’œuvre de conception et une maîtrise d’œuvre d’exécution,

– L’Entrepreneur peut recouvrir une forme juridique plus ou moins complexe (joint-venture, groupement, consortium). Celui-ci va collaborer avec des architectes, des sous-traitants, fournisseurs, bureaux d’études, qui sont autant d’intervenants supplémentaires à l’opération,

– La division du marché en lots et la présence éventuelle de tranches conditionnelles ont également pour effet d’augmenter le nombre d’acteurs,

– Les contrats de financement et les assureurs impliqués dans un programme international d’assurance sont des échelons additionnels participant à la complexité juridique de l’opération de construction.

La multiplicité des instruments contractuels accroît la probabilité d’être confronté à des clauses hétérogènes de règlement des litiges (clause attributive de juridiction/clause compromissoire, ces dernières pouvant viser des institutions différentes). Dans cette hypothèse, des désordres similaires, ayant la même cause technique, peuvent faire l’objet de différentes instances arbitrales ou étatiques, avec un risque de contrariété de décisions entre la/les sentence(s) rendues et/ou le(s) jugement(s) des juridictions étatiques.

La question de l’extension des clauses d’arbitrage aux tiers est donc de première importance afin d’éviter, autant que faire se peut, l’éclatement du contentieux.

Pour pallier cette difficulté, les institutions d’arbitrage, à l’instar de la CCI, ont mis en place des possibilités d’arbitrage multipartites (article 7 Règlement CCI) et de jonction d’instances (article 10 Règlement CCI), possible sous certaines conditions. L’AFA conduit d’ailleurs des travaux en ce sens dans le cadre d’un Groupe de réflexion.

  1. L’appréhension des difficultés techniques

L’arbitrage offre aux parties une réelle opportunité de voir les difficultés techniques de leur dossier mieux appréhendées lors de la conduite des débats techniques devant le tribunal arbitral.

Sans doute, plus que dans d’autres secteurs, le choix des arbitres appelés à connaître d’un litige portant sur des travaux publics est crucial. Les parties disposent du droit de stipuler dans la clause compromissoire que les coarbitres seront ingénieurs et le président du tribunal arbitral un juriste. Il est ainsi de pratique courante, notamment au Royaume-Uni, de désigner au sein du tribunal arbitral un membre ayant une compétence technique avérée, alors que les deux autres seront des juristes confirmés.

Lors de la conduite des débats techniques, les parties, par le biais de leurs conseils, jouent un rôle significatif dans la détermination des thèmes à traiter, du nombre de témoins et des modalités de présentation des témoignages.

  1. La prise en compte de spécificités juridiques et l’évaluation du préjudice

L’évaluation du préjudice découlant de l’exécution des travaux publics fait appel à des notions spécifiques de droit administratif qui méritent d’être traitées avec une attention particulière par les conseils des parties et les arbitres.

Ainsi le tribunal arbitral peut être amené à statuer sur des réclamations fondées sur :

– Des sujétions imprévues ayant pour conséquence l’augmentation du prix du marché. Il en va ainsi de l’état du sol ou d’évènements climatiques bouleversant l’exécution du contrat,

– Des surcoûts liées à des retards ou à des modifications unilatérales du maître de l’ouvrage (plans de l’ouvrage, lieu d’implantation, modalités d’exécution des travaux),

– La révision des prix unitaires,

– Les pertes d’exploitation,

– Les garanties et/ou cautionnements fournis par l’entreprise.

III. Les possibles difficultés d’exécution de la sentence arbitrale

Des difficultés liées à l’arbitrage en matière de travaux publics peuvent apparaître à l’issue de l’instance arbitrale. En effet, la participation d’un acteur public est de nature à créer des contraintes pour l’exécution de la sentence.

Le Règlement du FED, régissant les litiges entre les investisseurs européens et les États ACP (Afrique Caraïbes Pacifique), anticipe cette difficulté en prévoyant que « tout État ACP et tout État membre reconnaît toute sentence rendue en application du Règlement comme obligatoire et en assure l’exécution sur son territoire, comme s’il s’agissait du jugement définitif de ses propres juridictions » (art. 33.3 Règlement FED). La partie sollicitant la reconnaissance et l’exécution de la sentence doit uniquement « présenter une copie certifiée conforme de la sentence à l’autorité que cet État a désignée à cet effet. La formule exécutoire est apposée sur la copie présentée, sans autre contrôle que celui de l’authenticité de cette copie » (article 34.1).

Cependant, dans de nombreux cas, la difficulté relative à la reconnaissance et l’exécution de la sentence n’est envisagée qu’a posteriori, une fois la sentence rendue. Cette prise en compte tardive peut être source de difficulté, notamment lorsque la personne publique a été condamnée au titre de la sentence et que ses juridictions se montrent « peu enclines » à la reconnaître et à lui conférer la force exécutoire.

Dans cette hypothèse, il est alors tentant pour le contractant de droit privé de chercher l’exécution sur des biens de l’État situés en dehors du territoire de ce dernier. Cependant, la Cour de cassation a entendu freiner cette pratique en affirmant, dans trois décisions du 28 mars 2013, que « si les États peuvent renoncer, par contrat écrit, à leur immunité d’exécution sur des biens ou des catégories de biens utilisés ou destinés à être utilisés à des fins publiques, il ne peut y être renoncé que de manière expresse et spéciale, en mentionnant les biens ou la catégorie de biens pour lesquels la renonciation est consentie ».

Cette position, protectrice des États, venait ainsi consacrer des décisions des 9 mars et 28 septembre 2011 exigeant que la renonciation à l’immunité d’exécution soit « certaine, expresse et non équivoque » et ayant affirmé que « selon le droit international coutumier, les missions diplomatiques des États étrangers bénéficient d’une immunité d’exécution autonome à laquelle il ne peut être renoncé que de façon expresse et spéciale ».

En l’absence de mécanisme général de renonciation à l’immunité d’exécution, il faudra alors que les parties soient vigilantes à ce que soient mentionnés les biens sur lesquels une telle renonciation est consentie.

Enfin, une sentence arbitrale constituant un « investissement », si celle-ci venait à ne pas pouvoir être exécutée du fait de l’État, alors le cocontractant de droit privé pourrait faire valoir la violation de ses attentes légitimes en qualité d’investisseur devant le CIRDI, ou tout autre centre permettant de trancher un différend lié aux investissement.

CE, 10 juin 1921, Cne de Monségur c/ Épx Latanne et Brousse, Lebon 573 ; DP 1922. 3. 26, concl. Corneille. Peuvent être également qualifiés de travaux publics, les travaux réalisés par une personne publique, pour le compte d’une personne privée, dans le cadre d’une mission de service public (T. confl., 23 nov. 2009, req. n°3727).
Article 4 L. 28 pluviôse an VIII.
Arbitration and conflict resolution in large-sclae infrastructure projects in Latin America, Panama City, 23-24 August 2012, Cahiers de l’arbitrage, 1er oct. 2012, n°4, P.1037.
C. Samson et F. Albert, L’arbitrage dans le domaine de la construction ; une solution attractive malgré la spécificité des litiges, Construction Urbanisme, n°10, oct. 2003, chron. 9, estimant qu’une Cour d’appel ne statuera qu’après un délai de 3 à 4 ans.
L’article 311-6 du Code de justice administrative recense les exceptions à ce principe, dont l’arbitrage en matière de travaux publics prévu par l’article 132 du Code des marchés publics selon lequel l’État, les collectivités territoriales ou les établissements publics locaux peuvent, pour la liquidation de leurs dépenses de travaux et de fourniture, recourir à l’arbitrage tel qu’il est réglé par le livre IV du code de procédure civile. Il faut ajouter à la liste de l’article 311-6 une exception récemment admise dans les contrats de partenariats en vertu de l’article 11 de l’ordonnance n°2004-559 du 17 juin 2004 sur le contrat de partenariat, permettant d’y insérer une clause compromissoire.
N. Boulous, Contentieux des travaux publics, Dalloz, sept. 2014, 44.
B. Audit, Le nouveau régime de l’arbitrage des contrats administratifs internationaux, Rev. arb., 2010, p. 253-273.
Trib. conflits, 17 mai 2010, Inserm, Rev. arb., 2010.275 ; id., p. 253, étude B. Audit, venant mettre un terme à la divergence jurisprudentielle entre le Conseil d’État, n’admettant le recours à l’arbitrage par les personnes publiques qu’en présence d’un traité international (voir l’avis du Conseil d’État du 6 mars 1986 dans l’affaire Eurodisney), et la Cour de cassation, admettant cette possibilité en présence d’un contrat mettant en jeu les intérêts du commerce international (Cass., 1ère civ. 2 mai 1966, Galakis, D. 1966. 575, note J. Robert, Rev. crit. DIP,1967.553, note J. Goldman).
CE, 7e et 2e sous-sections réunies, 19 avril 2013, Syndicat mixte des aéroports de Charente (Smac), Rev. arb., 2013.761, note M. Laazouzi.
Ibidem, et CA Paris, Pôle 1, ch. 1, 10 septembre 2013, Syndicat mixte des aéroports de Charente (Smac), Rev. arb., 2014.158, note M. Laazouzi.
S. Braconnier, Ibid, 412.110.
S. Braconnier, Ibid, 412.250.
N. Boulous, Ibid, 44.
Gary. B. Born, International Commercial Arbitration, Kluwer Law International, 2014, §18.02-C-2 ; Jenkins, Ibid, §7.03.A. En dépit d’une utilité indéniable, ces mécanismes demeurent néanmoins fragiles. En effet leur mise en œuvre est conditionnée par l’absence de contrariété entre les clauses de règlement des différends (siège et langue de l’arbitrage, droit applicable au fond, institutions différentes).
Jenkins, International Construction Arbitration Law, Kluwert Law International, 2013, §7.02.B.
Stéphane Braconnier, Michel Degoffe, Marchés publics de travaux : exécution financière, Dalloz, 2013, 417.1520.
Ibidem, 417.1990.
Cass. 1ère civ, n°10-25.938, n° 11-10.450, n° 11-13.323, Bull civ n°62, 63 et 64, Rev. crit DIP 2013 p. 671 note H. Muir Watt ; D. 2013, p. 1728, note D. Martel ; RTD. civ. 2013. 437, obs. R. Perrot.
Cass Civ. 1ère, 9 mars 2011, n° 09-14.743, Bull. civ. I, n°49, D. 2011. 890, obs. I. Gallmeister ; Rev. crit. DIP 2011 p. 385, avis P. Chevalier ; JDI 2011 p. 19, note P. Delebecque et S. Adeline.
Civ. 1ère, 28 sept. 2011, n° 09-72.057, Bull. civ. I, n°153, D. 2011 p. 2412 ; Rev. crit. DIP 2012 p. 124, note H. Gaudemet-Tallon ; JDI 2012 p. 668, note G. Cuniberti.
Sentence White Industries Australia Limited v. The Republic of India, 30 novembre 2011.

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